Après une petite période de silence (la faute au stage terrain, aux multiples rapports et à l'absence d'une connexion internet chez moi), me revoila donc par ici. J'ai un peu de retard à rattraper entre le bilan de mai, des imaginales et deux chroniques de romans à faire mais ça ne saurait tarder :)
En attendant, un extrait d'Au nom des possibles, quand Kat commence à retrouver la mémoire
Un ballottement s’exerçait
de part et d’autre, poussant tantôt la jeune femme à sa droite, tantôt à sa
gauche. Cela la dérangeait particulièrement, sans qu’elle ne comprenne d’où
venait ce mouvement si désagréable. Depuis la banquette où elle était allongée,
elle pouvait même sentir un ronronnement à la fois doux mais brutal par
instants.
Kat
ouvrit brutalement les yeux, paniquée par ces sensations. Elle se redressa
légèrement sur la banquette. Deux vitres se regardaient, de part et d’autre de
son siège. Au dehors, un paysage défilait faiblement. C’est donc pour ça le ballotement… L’amnésique regarda à l’avant, découvrant Alviss et Neil, dans un
véhicule qu’elle ne connaissait pas. Néanmoins, elle ne parvenait pas à
s’expliquer pourquoi les Travellers se trouvaient ici. Dans ses souvenirs, ils
devaient se rendre avec elle dans un Abri au nord de Genève… Mais ils n’avaient
jamais parlé de voiture ou d’un quelconque moyen de transport.
— Arrêtes tes conneries au
volant ! Elle va finir par se réveiller…
— Tu blagues ? Avec la
dose qu’elle a reçue ? Miss katje n’est pas prête de nous fausser compagnie.
La
jeune femme écarquilla les yeux. Les deux voix ne ressemblaient pas du tout à
celles des Travellers qui l’aidaient à échapper aux Salteurs. D’autant plus
qu’elle ne comprenait pas à quoi ils faisaient référence. Les graines de la
peur germèrent au plus profond de Kat. Que s’était-il passé ? Avait-elle
utilisé son pouvoir pour essayer de sortir d’une situation délicate ?
Combien de temps de son passé avait-elle perdu ? Et surtout, qui étaient
les détenteurs de ces voix ? S’il ne
s’agit pas d’Alviss et de Neil… Un élan de panique tenta de prendre
possession d’elle. Cependant, la jeune femme parvint à se retenir. Les deux
personnes à l’avant ne lui voulaient rien d’amical, elle en avait la certitude.
Il fallait qu’elle s’échappe ! Bougeant à peine, les yeux mi-clos, Kat
détailla l’arrière de la voiture. Les fenêtres étaient fermées, le véhicule
roulait à toute allure… Impossible de fuir discrètement ! Elle était
piégée ! La peur continua à grandir, s’imposant avec majesté dans son
esprit. Calme-toi, s’imposa
l’amnésique. Si elle ne pouvait pas s’échapper maintenant, mieux valait qu’elle
fasse alors semblant d’être toujours endormie… en attendant le meilleur instant
pour fausser compagnie à « Neil » et « Alviss ».
Les échos de la conversation
des deux hommes à l’avant parvenaient à ses oreilles, même si elle ne
comprenait pas tout. Néanmoins, certaines phrases restaient claires et nettes.
— Tu sais ce qu’ils veulent
en faire ? demanda l’homme qui conduisait.
L’autre haussa les épaules
en soupirant.
— J’sais pas trop… J’avais
entendu dire qu’ils voulaient la séparer de l’Alastar. Après… ils ont surement
d’autres raisons et c’est pas moi qui irais leur demander…
Un ton de crainte mêlé de
respect inondait la voix de celui qui venait de parler.
L’Alastar…
Ce mot lui rappelait quelque chose, sans que Kat ne parvienne à mettre une
image ou une explication dessus. Par contre, cela avait trait avec les
Salteurs. Ce sont donc des Salés qui
conduisent ? Cela se tenait. Après tout, ils avaient accumulé assez de
richesses pendant leurs années de pouvoir pour détenir des voitures… A cet
instant, un élan nauséeux s’instilla en elle. Le mouvement houleux de la
trajectoire du véhicule lui donnait le mal des transports. L’amnésique se frotta
doucement les yeux, luttant en même temps contre l’envie de vomir qui se
profilait. Ce type de mal au cœur ne lui était pas inconnu. Dès qu’elle montait
dans un moyen de transport motorisé, la jeune femme ressentait cela. Elle s’en
souvenait avec clarté maintenant !
Le ballotement fut plus
puissant que ses résolutions. Perdant tout contrôle sur son corps, la jeune
femme rendit son dernier repas sur le sol de la voiture. Elle tressaillit
alors, comprenant qu’elle venait de donner une preuve à ses geôliers mobiles de
son réveil. Il fallait qu’elle se cache ! Le cœur de l’amnésique se mit à
battre la chamade, d’angoisse tant que de dégout. Elle aurait voulu pouvoir se
changer en grain de poussière, si petit que nul ne pouvait le distinguer. Ou
en ombre, songea-t-elle. Comme ça,
personne ne serait en mesure de me voir…
Malheureusement, ce n’était pas possible. L’homme qui ne conduisait pas se
retourna. Katje ferma les yeux, de peur. Peut-être était-il assez idiot pour
croire que quelqu’un d’inconscient pouvait vomir… Tremblotante, elle essaya de
se convaincre qu’il fallait qu’elle apparaisse sereine. Pourtant, rien n’y
fit : ses traits restèrent crispés, ses poings fermés et son souffle
court, comme si elle revenait d’un marathon.
La jeune femme entrouvrit les
yeux, tentant de distinguer le visage de l’homme
— Alors comme ça la katje
est réveillée ?
Ce
n’était ni Alviss, ni Neil.
Frappée
par cette vue, la jeune femme ouvrit pleinement les yeux. Devant elle, les deux
Travellers continuaient à conduire, dans le calme, comme si de rien n’était.
Perplexe, l’amnésique baissa le regard sur le sol.
Rien.
Aucune
trace de vomi.
Alors comment…
Les voix qu’elle avait entendues étaient réelles, aussi dures et tranchantes
que la vérité. Kat ne pouvait pas ne pas y croire. Cette vision lui appartenait
tout autant que celle qui se déroulait sous ses yeux. Cependant, elle ne
parvenait pas à assembler ce puzzle complexe. Des morceaux lui manquaient,
l’empêchant de résoudre cette fresque audio-visuelle étrange. Tout cela lui
semblait à la fois familier et lointain.
Proche
et incompréhensible.
Il
lui manquait un morceau, une lumière pour éclairer ce qui manquait. La jeune
femme s’engouffra à travers le voile qui était abattu sur son esprit. Elle
poussa, persista, s’accrochant à ces visions, essayant de les comprendre. Le
morceau crucial lui échappait en permanence, disparaissant à chaque fois que
Kat s’en approchait. Il s’agissait d’une course poursuite imaginaire, dans les
dédales de sa conscience. L’élément s’effaçait dès que la jeune femme le
percevait. Mais à chaque fois, elle comprenait qu’elle en était toujours plus
proche. Cette idée l’empêchait d’arrêter. La nécessité de comprendre la
situation qui l’entourait la forçait à agir de plus en plus vite, prenant toujours
plus de risques.
Puis
soudain, Kat s’élança. Elle piégea ce morceau qui n’avait jamais cessé de
s’échapper. Dès qu’elle posa une main virtuelle dessus, tout s’imbriqua. Le
puzzle complet s’affichait dans sa tête, rayonnant de sa compréhension.
28
ans de souvenirs déboulèrent dans sa mémoire.
Elle s’appelait Nadine Hanna
Isleen. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle avait toujours été une
fouineuse. Elle habitait près de Bruxelles quand les 30 pays de l’Union
Européenne avaient décidé de s’unir.
Quand les premiers zombies
avaient surpris le monde au point que les Nations Unies acceptent d’emmurer
l’Europe Unie. Bien sûr elle avait 6 ans à l’époque… La fillette n’avait pas
compris tout de suite ce que ça changeait. Et puis ses parents avaient dû
quitter la campagne wallonne pour se terrer à Bruxelles, le premier Abri mis en
place. Nadine se souvenait avoir détesté ce déménagement. En ville, il n’y
avait pas autant de place qu’à la campagne. Sans parler des gens qui étaient
agressifs envers les réfugiés. En grandissant, l’adolescente avait fini par
comprendre pourquoi. Exacerbés par les Salteurs, les bruxellois d’origine
craignaient que les futur Travellers n’essayent de prendre leur place en ville.
Dégoutée par l’injustice qui pesait dans l’Abri, elle décida d’étudier le
droit. Pourtant, pendant ces années d’études, Nadine comprit que les zombies
n’étaient pas le principal problème du pays. A vrai dire, ils étaient même un
moindre mal par rapport aux Salés. C’est à cette époque qu’Alastar commença à
se révolter. Celle qui devenait peu à peu une adulte avait vu les
manifestations contre les Salteurs grossir de jour en jour. Mais malgré qu’elle
les ait soutenus moralement, la jeune femme resta enfermée à étudier. Pas un
seul instant, elle ne descendit dans la rue pour les rejoindre. Avec le temps,
Nadine le regretta, maudit sa lâcheté.
Et puis l’Alastar, ou le
Sauveur comme les gens finirent par l’appeler, renversa les Salteurs. La jeune
femme se souvenait de cet instant mémorable où tous les Abris d’Europe Unie
furent en fête. Pourtant, un an plus tard, poussée par sa curiosité, elle tomba
sur quelque chose d’intriguant : certains Salés étaient toujours au
pouvoir dans certaines institutions de la capitale. Abandonnant son travail
pendant quelques instants, au profit de l’aventure, Nadine s’introduisit dans
un ancien bâtiment des Salteurs. A aucun instant, elle ne pensa faire une
bêtise. Elle fouina jusqu’aux sous-sols de ce bâtiment supposé être désaffecté
alors qu’il ne l’était pas. La jeune femme trouva alors la justification de ses
soupçons : dans une cellule bien cachée, elle avait découvert la
supercherie : Alastar lui-même. C’est alors qu’elle avait compris la
vérité : les Salés n’avaient jamais quitté le pouvoir. Ils détenaient le
Sauveur et se servaient de son image pour mieux contrôler les foules. Nadine
n’eut pas l’occasion d’aller plus loin. Les Salteurs la prirent la main dans le
sac et la condamnèrent au même sort que l’homme qui avait essayé de s’opposer à
eux.
Kat
cligna des yeux, face à la masse de souvenirs qui déboulaient en elle,
ravageant tout sur leur passage. En l’espace d’un instant, presque toute sa vie
s’était déroulée dans sa tête. Elle comprenait maintenant la situation qu’elle
avait observée dans la voiture. Ce n’était que de simples réminiscences,
probablement provoquées par son mal des transports. Dans un sens, la jeune
femme restait encore effrayée par ces révélations : Elle avait déjà
été aux mains des Salés, au même titre qu’Alastar. A cette pensée, Nadine ne
put s’empêcher d’éprouver de la culpabilité. Après avoir subi des années
d’horreur chez les Salteurs, elle se sentait honteuse de ne jamais s’être levée
contre eux. Ne rien faire équivalait à consentir à leurs actes… Cette idée la
dérangeait profondément. Cela la prenait aux tripes, la déchirant de part en
part, au point qu’elle aurait pu en hurler. Le simple fait d’y penser
constituait une torture mentale.
Toutes
les informations qu’elle venait de découvrir lui permettaient de mieux
comprendre les évènements des derniers jours. Elle s’était enfuie et les
Salteurs la recherchaient toujours. Et s’ils avaient retrouvé Alviss, Neil et
elle si facilement à la sortie de l’Abri des Côtes, c’était surement parce que
les Salés en poste à la préfecture de Dijon avaient dû prévenir leurs
collègues. Peut-être même que l’expulsion d’Alviss faisait partie de leur plan…
Tout cela signifiait que les Salés dirigeaient encore. Donc Alastar est encore à leurs mains.
Kat
releva la tête. La situation tournait à son avantage, lui offrant la
possibilité de rattraper ses erreurs du passé. Cette fois, elle ne resterait
pas sans agir. Cette fois, elle n’avait plus rien à perdre. La jeune femme se
redressa complètement sur la banquette arrière de la voiture. Combattant son
mal des transports, elle se pencha vers les Travellers.
—
Neil ? Alviss ?
Sa
voix chevrota quelque peu, de façon parfaitement inattendue. Kat aurait aimé
que cela ne se produise pas mais après tout, cela ne changeait pas grand-chose.
Le journaliste se retourna vers elle.
—
Katje ? T’es réveillée ?
Katje.
Le
chaton qui s’était enfilé là où il ne fallait pas.
Maintenant,
elle savait ce que cela signifiait.
La
jeune femme acquiesça en souriant. Une assurance nouvelle s’était instillée en
elle, aussi solide que le granite des Vosges. La culpabilité donnait naissance
à ce sentiment, remplaçant toute la peur qu’elle avait pu ressentir quelques
instants plus tôt.
Il
leur appartenait de changer des choses.
—
J’ai quelque chose à vous dire.