vendredi 14 juin 2013

[extrait] Au nom des Possibles - Chapitre 8

Après une petite période de silence (la faute au stage terrain, aux multiples rapports et à l'absence d'une connexion internet chez moi), me revoila donc par ici. J'ai un peu de retard à rattraper entre le bilan de mai, des imaginales et deux chroniques de romans à faire mais ça ne saurait tarder :)

En attendant, un extrait d'Au nom des possibles, quand Kat commence à retrouver la mémoire

Un ballottement s’exerçait de part et d’autre, poussant tantôt la jeune femme à sa droite, tantôt à sa gauche. Cela la dérangeait particulièrement, sans qu’elle ne comprenne d’où venait ce mouvement si désagréable. Depuis la banquette où elle était allongée, elle pouvait même sentir un ronronnement à la fois doux mais brutal par instants.
Kat ouvrit brutalement les yeux, paniquée par ces sensations. Elle se redressa légèrement sur la banquette. Deux vitres se regardaient, de part et d’autre de son siège. Au dehors, un paysage défilait faiblement. C’est donc pour ça le ballotement L’amnésique regarda à l’avant, découvrant Alviss et Neil, dans un véhicule qu’elle ne connaissait pas. Néanmoins, elle ne parvenait pas à s’expliquer pourquoi les Travellers se trouvaient ici. Dans ses souvenirs, ils devaient se rendre avec elle dans un Abri au nord de Genève… Mais ils n’avaient jamais parlé de voiture ou d’un quelconque moyen de transport.
— Arrêtes tes conneries au volant ! Elle va finir par se réveiller…
— Tu blagues ? Avec la dose qu’elle a reçue ? Miss katje n’est pas prête de nous fausser compagnie.
La jeune femme écarquilla les yeux. Les deux voix ne ressemblaient pas du tout à celles des Travellers qui l’aidaient à échapper aux Salteurs. D’autant plus qu’elle ne comprenait pas à quoi ils faisaient référence. Les graines de la peur germèrent au plus profond de Kat. Que s’était-il passé ? Avait-elle utilisé son pouvoir pour essayer de sortir d’une situation délicate ? Combien de temps de son passé avait-elle perdu ? Et surtout, qui étaient les détenteurs de ces voix ? S’il ne s’agit pas d’Alviss et de Neil… Un élan de panique tenta de prendre possession d’elle. Cependant, la jeune femme parvint à se retenir. Les deux personnes à l’avant ne lui voulaient rien d’amical, elle en avait la certitude. Il fallait qu’elle s’échappe ! Bougeant à peine, les yeux mi-clos, Kat détailla l’arrière de la voiture. Les fenêtres étaient fermées, le véhicule roulait à toute allure… Impossible de fuir discrètement ! Elle était piégée ! La peur continua à grandir, s’imposant avec majesté dans son esprit. Calme-toi, s’imposa l’amnésique. Si elle ne pouvait pas s’échapper maintenant, mieux valait qu’elle fasse alors semblant d’être toujours endormie… en attendant le meilleur instant pour fausser compagnie à « Neil » et « Alviss ».
Les échos de la conversation des deux hommes à l’avant parvenaient à ses oreilles, même si elle ne comprenait pas tout. Néanmoins, certaines phrases restaient claires et nettes.
— Tu sais ce qu’ils veulent en faire ? demanda l’homme qui conduisait.
L’autre haussa les épaules en soupirant.
— J’sais pas trop… J’avais entendu dire qu’ils voulaient la séparer de l’Alastar. Après… ils ont surement d’autres raisons et c’est pas moi qui irais leur demander…
Un ton de crainte mêlé de respect inondait la voix de celui qui venait de parler.
L’Alastar… Ce mot lui rappelait quelque chose, sans que Kat ne parvienne à mettre une image ou une explication dessus. Par contre, cela avait trait avec les Salteurs. Ce sont donc des Salés qui conduisent ? Cela se tenait. Après tout, ils avaient accumulé assez de richesses pendant leurs années de pouvoir pour détenir des voitures… A cet instant, un élan nauséeux s’instilla en elle. Le mouvement houleux de la trajectoire du véhicule lui donnait le mal des transports. L’amnésique se frotta doucement les yeux, luttant en même temps contre l’envie de vomir qui se profilait. Ce type de mal au cœur ne lui était pas inconnu. Dès qu’elle montait dans un moyen de transport motorisé, la jeune femme ressentait cela. Elle s’en souvenait avec clarté maintenant !
Le ballotement fut plus puissant que ses résolutions. Perdant tout contrôle sur son corps, la jeune femme rendit son dernier repas sur le sol de la voiture. Elle tressaillit alors, comprenant qu’elle venait de donner une preuve à ses geôliers mobiles de son réveil. Il fallait qu’elle se cache ! Le cœur de l’amnésique se mit à battre la chamade, d’angoisse tant que de dégout. Elle aurait voulu pouvoir se changer en grain de poussière, si petit que nul ne pouvait le distinguer. Ou en ombre, songea-t-elle. Comme ça, personne ne serait en mesure de me voir… Malheureusement, ce n’était pas possible. L’homme qui ne conduisait pas se retourna. Katje ferma les yeux, de peur. Peut-être était-il assez idiot pour croire que quelqu’un d’inconscient pouvait vomir… Tremblotante, elle essaya de se convaincre qu’il fallait qu’elle apparaisse sereine. Pourtant, rien n’y fit : ses traits restèrent crispés, ses poings fermés et son souffle court, comme si elle revenait d’un marathon.
La jeune femme entrouvrit les yeux, tentant de distinguer le visage de l’homme
— Alors comme ça la katje est réveillée ?
Ce n’était ni Alviss, ni Neil.
Frappée par cette vue, la jeune femme ouvrit pleinement les yeux. Devant elle, les deux Travellers continuaient à conduire, dans le calme, comme si de rien n’était. Perplexe, l’amnésique baissa le regard sur le sol.
Rien.
Aucune trace de vomi.
Alors comment… Les voix qu’elle avait entendues étaient réelles, aussi dures et tranchantes que la vérité. Kat ne pouvait pas ne pas y croire. Cette vision lui appartenait tout autant que celle qui se déroulait sous ses yeux. Cependant, elle ne parvenait pas à assembler ce puzzle complexe. Des morceaux lui manquaient, l’empêchant de résoudre cette fresque audio-visuelle étrange. Tout cela lui semblait à la fois familier et lointain.
Proche et incompréhensible.
Il lui manquait un morceau, une lumière pour éclairer ce qui manquait. La jeune femme s’engouffra à travers le voile qui était abattu sur son esprit. Elle poussa, persista, s’accrochant à ces visions, essayant de les comprendre. Le morceau crucial lui échappait en permanence, disparaissant à chaque fois que Kat s’en approchait. Il s’agissait d’une course poursuite imaginaire, dans les dédales de sa conscience. L’élément s’effaçait dès que la jeune femme le percevait. Mais à chaque fois, elle comprenait qu’elle en était toujours plus proche. Cette idée l’empêchait d’arrêter. La nécessité de comprendre la situation qui l’entourait la forçait à agir de plus en plus vite, prenant toujours plus de risques.
Puis soudain, Kat s’élança. Elle piégea ce morceau qui n’avait jamais cessé de s’échapper. Dès qu’elle posa une main virtuelle dessus, tout s’imbriqua. Le puzzle complet s’affichait dans sa tête, rayonnant de sa compréhension.
28 ans de souvenirs déboulèrent dans sa mémoire.


Elle s’appelait Nadine Hanna Isleen. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle avait toujours été une fouineuse. Elle habitait près de Bruxelles quand les 30 pays de l’Union Européenne avaient décidé de s’unir.
Quand les premiers zombies avaient surpris le monde au point que les Nations Unies acceptent d’emmurer l’Europe Unie. Bien sûr elle avait 6 ans à l’époque… La fillette n’avait pas compris tout de suite ce que ça changeait. Et puis ses parents avaient dû quitter la campagne wallonne pour se terrer à Bruxelles, le premier Abri mis en place. Nadine se souvenait avoir détesté ce déménagement. En ville, il n’y avait pas autant de place qu’à la campagne. Sans parler des gens qui étaient agressifs envers les réfugiés. En grandissant, l’adolescente avait fini par comprendre pourquoi. Exacerbés par les Salteurs, les bruxellois d’origine craignaient que les futur Travellers n’essayent de prendre leur place en ville. Dégoutée par l’injustice qui pesait dans l’Abri, elle décida d’étudier le droit. Pourtant, pendant ces années d’études, Nadine comprit que les zombies n’étaient pas le principal problème du pays. A vrai dire, ils étaient même un moindre mal par rapport aux Salés. C’est à cette époque qu’Alastar commença à se révolter. Celle qui devenait peu à peu une adulte avait vu les manifestations contre les Salteurs grossir de jour en jour. Mais malgré qu’elle les ait soutenus moralement, la jeune femme resta enfermée à étudier. Pas un seul instant, elle ne descendit dans la rue pour les rejoindre. Avec le temps, Nadine le regretta, maudit sa lâcheté.
Et puis l’Alastar, ou le Sauveur comme les gens finirent par l’appeler, renversa les Salteurs. La jeune femme se souvenait de cet instant mémorable où tous les Abris d’Europe Unie furent en fête. Pourtant, un an plus tard, poussée par sa curiosité, elle tomba sur quelque chose d’intriguant : certains Salés étaient toujours au pouvoir dans certaines institutions de la capitale. Abandonnant son travail pendant quelques instants, au profit de l’aventure, Nadine s’introduisit dans un ancien bâtiment des Salteurs. A aucun instant, elle ne pensa faire une bêtise. Elle fouina jusqu’aux sous-sols de ce bâtiment supposé être désaffecté alors qu’il ne l’était pas. La jeune femme trouva alors la justification de ses soupçons : dans une cellule bien cachée, elle avait découvert la supercherie : Alastar lui-même. C’est alors qu’elle avait compris la vérité : les Salés n’avaient jamais quitté le pouvoir. Ils détenaient le Sauveur et se servaient de son image pour mieux contrôler les foules. Nadine n’eut pas l’occasion d’aller plus loin. Les Salteurs la prirent la main dans le sac et la condamnèrent au même sort que l’homme qui avait essayé de s’opposer à eux.


Kat cligna des yeux, face à la masse de souvenirs qui déboulaient en elle, ravageant tout sur leur passage. En l’espace d’un instant, presque toute sa vie s’était déroulée dans sa tête. Elle comprenait maintenant la situation qu’elle avait observée dans la voiture. Ce n’était que de simples réminiscences, probablement provoquées par son mal des transports. Dans un sens, la jeune femme restait encore effrayée par ces révélations : Elle avait déjà été aux mains des Salés, au même titre qu’Alastar. A cette pensée, Nadine ne put s’empêcher d’éprouver de la culpabilité. Après avoir subi des années d’horreur chez les Salteurs, elle se sentait honteuse de ne jamais s’être levée contre eux. Ne rien faire équivalait à consentir à leurs actes… Cette idée la dérangeait profondément. Cela la prenait aux tripes, la déchirant de part en part, au point qu’elle aurait pu en hurler. Le simple fait d’y penser constituait une torture mentale.
Toutes les informations qu’elle venait de découvrir lui permettaient de mieux comprendre les évènements des derniers jours. Elle s’était enfuie et les Salteurs la recherchaient toujours. Et s’ils avaient retrouvé Alviss, Neil et elle si facilement à la sortie de l’Abri des Côtes, c’était surement parce que les Salés en poste à la préfecture de Dijon avaient dû prévenir leurs collègues. Peut-être même que l’expulsion d’Alviss faisait partie de leur plan… Tout cela signifiait que les Salés dirigeaient encore. Donc Alastar est encore à leurs mains.
Kat releva la tête. La situation tournait à son avantage, lui offrant la possibilité de rattraper ses erreurs du passé. Cette fois, elle ne resterait pas sans agir. Cette fois, elle n’avait plus rien à perdre. La jeune femme se redressa complètement sur la banquette arrière de la voiture. Combattant son mal des transports, elle se pencha vers les Travellers.
— Neil ? Alviss ?
Sa voix chevrota quelque peu, de façon parfaitement inattendue. Kat aurait aimé que cela ne se produise pas mais après tout, cela ne changeait pas grand-chose. Le journaliste se retourna vers elle.
— Katje ? T’es réveillée ?
Katje.
Le chaton qui s’était enfilé là où il ne fallait pas.
Maintenant, elle savait ce que cela signifiait.
La jeune femme acquiesça en souriant. Une assurance nouvelle s’était instillée en elle, aussi solide que le granite des Vosges. La culpabilité donnait naissance à ce sentiment, remplaçant toute la peur qu’elle avait pu ressentir quelques instants plus tôt.
Il leur appartenait de changer des choses.

— J’ai quelque chose à vous dire.

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